A l'horizon des jours radieux pour les croisières
Malgré la tempête de la Covid-19, de belles perspectives s’offrent au secteur des croisières
Après avoir été brutalement mis à l’arrêt par la pandémie de Covid-19, les armateurs ont été contraints de prendre rapidement des mesures pour assurer leur survie en 2020. L’activité ne recommencera que progressivement au printemps et surtout à l’été 2021, avec la diffusion des vaccins contre le coronavirus. Avant la crise, les croisières connaissaient pourtant une croissance particulièrement dynamique, de plus de 6% en moyenne par an entre 2009 et 2019, essentiellement tirée par un effet volume de passagers. Le marché de la croisière aurait dû dépasser les 50 milliards de dollars en 2020, hors pandémie. Malgré l’ampleur des difficultés actuelles, de belles perspectives de reprise s’offrent aux croisières. Le soutien des investisseurs au secteur, qui ont apporté des financements pendant la crise, l’atteste. Au-delà des mesures très rapides qu’ils ont su mettre en place pour leur survie immédiate, les armateurs se sont attachés à préparer les lendemains dela crise. Le secteur des croisières, qui se distingue par une proposition de valeur de grande qualité et qui a su gagner des parts de marché sur les autres formats d’hébergement, peut se montrer confiant quant à son avenir : il est loin d’avoir atteint les limites de sa croissance et est armépour affronter les nouveaux défis apportés par la Covid-19.
Contraintes à l’arrêt par la pandémie de Covid-19, les croisières ont été durement touchées.
La pandémie de Covid-19 a représenté une crise sans précédent pour les croisières. La circulation mondiale du virus les a contraintes à un arrêt total de l’activité dès mars2020, quelle que soit leur zone géographique. Contrairement aux crises précédentes – qu’elles soient liées à des facteurs économiques, géopolitiques, environnementaux… –, cette crise s’est avérée véritablement mondiale, touchant un secteur résolument multi-émission. Aucun marché n’a été épargné, entraînant une chute inédite des revenus pour l’industrie.
Les conséquences de la crise de la Covid-19, des restrictions de déplacement et des mesures sanitaires sur le secteur des croisières ont ainsi été brutales et massives en 2020. La chute significative de l’activité a contraint plusieurs petits armateurs à déposer le bilan. Ces faillites ont pour conséquence un renforcement de la consolidation du marché des croisières, pourtant déjà largement dominé avant la crise par quatre grands armateurs, à savoir Carnival, Royal Caribbean Cruises, NorwegianCruise Line et MSC Croisières. Ceux-ci ne représentaient pas moins de 83% descapacités mondiales en 2019*.
*Source : : Cruise Industry Watch, rapports annuels, Roland Berger.
La reprise de l’activité soulève de plus des difficultés d’organisation particulièrement délicates pour les croisiéristes. Ceux-ci doivent s’adapter aux diverses contraintes sanitaires de chacun des ports qu’ils desservent, dans différents pays avec chacun leurs propres politiques sanitaires, pour accueillir des voyageurs aux origines elles aussi variées. En sus des consignes restrictives de navigation ou de débarquement, la reprise des croisières dépend aussi des contraintes pesant sur les autres modes de transport − aérien, ferroviaire et routier −, permettant aux voyageurs de rejoindre les ports.
Les armateurs ont su rapidement mettre en place les mesures nécessaires à leur survie mais aussi à la reprise de long terme. Les armateurs se sont montrés particulièrement réactifs pour faire face aux effets de la crise, tout d’abord pour assurer leur survie financière face à la mise à l’arrêt du secteur, caractérisé par des coûts fixes élevés, puis, dans un second temps, pour mettre en place des protocoles sanitaires complexes et nécessaires à la reprise de l’activité. Cette réactivité a été récompensée par le soutien des Etats, via des programmes d’aides – y compris des mesures spécifiques aux croisières, liées aux échéances de dettes –, et par celui des investisseurs.
Afin de surmonter les effets immédiats de la crise sur l’activité, les croisiéristes ont certes dû consentir d’importants efforts pour réduire leurs coûts fixes, notamment de personnel. Les principaux armateurs, par exemple, ont diminué leurs coûts fixes de 25% à 30%. De surcroît, les armateurs sont plusieurs à s’être séparés d’une partie de leur flotte, en revendant les navires les plus anciens – les plus durs à rentabiliser – sur le marché d’occasion ou à des ferrailleurs. Ils se sont ainsi concentrés sur les navires les plus récents et les plus innovants, pour continuer d’assurer une proposition de valeur élevée et une offre de qualité pour leurs clients lors de la reprise de l’activité.
Malgré la crise, les armateurs n’ont pas non plus annulé des commandes antérieures de navires, en dépit d’un important carnet de commandes. Ils ont en revanche obtenu auprès des chantiers navals des décalages de livraisons, de quelques mois à un an selon les navires. Plusieurs facteurs l’expliquent. Les armateurs s’exposent à des pénalités financières élevées en cas d’annulation de commande. Dans la plupart des cas, le paiement des navires est de plus en partie déjà effectué : il est échelonné sur les principales étapes de construction. Surtout, les armateurs ont intérêt à préserver le lien historiquement fort qu’ils entretiennent avec les chantiers navals, pour obtenir des créneaux de construction. Or, les nouveaux navires sont amenés à jouer un rôle crucial pour la reprise. Grâce à des équipements plus innovants, une expérience client plus riche – via des restaurants, salles de spectacle, salles de sport, parcs aquatiques... voire des patinoires – et une empreinte écologique moindre que les anciens navires, ils sont déterminants pour attirer et fidéliser la clientèle. Dans le secteur des croisières,la croissance de la demande est étroitement corrélée à celle des volumes. Les armateurs ont tout intérêt à poursuivre le développement de leurs capacités.
A ce titre, les armateurs ont su mettre en place dès l’année précédente les mesures sanitaires requises pour la reprise des croisières, malgré leur complexité. Afin d’entamer une reprise de leur activité dans la seconde moitié de l’année 2020 et surtout au début de l’année 2021, ils ont su mettre en place des protocoles sanitaires particulièrement exigeants à l’embarquement et au débarquement, en conformité avec les obligations imposées par chaque port, ainsi qu’à bord des navires.
Les investisseurs ont montré leur confiance dans l’avenir des croisières. En sus des mesures prises par les armateurs pour faire face à la crise actuelle et préparer l’avenir, ceux-ci ont aussi pu bénéficier de dispositifs d’aides publiques accordés à l’ensemble des entreprises affectées par la crise, à l’instar du chômage partiel en France. Avec le soutien de gouvernements de plusieurs pays − dont la France mais aussi l’Allemagne, l’Italie, la Norvège et la Finlande −, ceux-ci ont pu obtenir auprès des banques le décalage des échéances de remboursement de dettes liées aux navires déjà livrés (« debt holiday »), afin de soulager leur trésorerie.
Les principaux armateurs ont cependant rencontré relativement peu de difficultés pour lever des fonds supplémentaires, par de la dette, des obligations convertibles et des augmentations de capital. En moyenne, ils disposent ainsi de la solidité financière nécessaire pour tenir jusqu’à l’été 2021 avec un chiffre d’affaire nul. Or, l’activité redémarre très progressivement pour le secteur, avec quelques rares croisières à l’été et à l’automne 2020. La reprise de l’activité devrait surtout s’effectuer petit à petit à partir du printemps et surtout de l’été 2021. Les résultats des campagnes de vaccination devraient permettre dans les prochains mois une meilleure visibilité sur l’évolution de la pandémie. De surcroît, les grands armateurs sont en mesure de lever d’autres financements en cas de besoin. L’intérêt manifesté par les investisseurs l’atteste : des fonds de dette privés ont d’ores et déjà proposé leurs services aux armateurs, qui les ont refusés jusqu’à présent en raison d’offres de financement plus attractives sur le marché. Autre signe de confiance des acteurs financiers dans l’avenir des croisières, les cours de bourse des armateurs cotés ont remonté dès les premières annonces de vaccins contre le coronavirus en novembre 2020. En février 2021 par exemple, le croisiériste RoyalCaribbean Cruises avait atteint son plus haut point en bourse depuis un an, avec une hausse de 30% de la valeur de ses titres par rapport au moins de novembre dernier.
A l’issue de la pandémie, les croisiéristes peuvent en effet, dans l’ensemble, être optimistes quant à l’avenir de leur secteur. Leur capacité à retrouver le chemin de la croissance dépend en partie des efforts considérables qu’ils ont su déployer pour reprendre les croisières malgré le contexte sanitaire contraint. Ce sont toutefois avant tout les caractéristiques structurelles et les fondamentaux économiques très solides du secteur qui justifient le soutien des investisseurs et laissent entrevoir de beaux jours après la crise.
Avant la crise de la Covid-19, un secteur en forte croissance, caractérisé par une amélioration continue de la proposition de valeur. Par rapport à d’autres secteurs touristiques, les croisières se distinguent à la fois parune croissance soutenue ces vingt dernières années et une forte résilience aux cycleséconomiques. En 2019, elles représentaient un marché de 49 milliards de dollars, soit72% de plus par rapport aux niveaux de 2009.
Au cours de la décennie précédente, la croissance du nombre de passagers a été globale, enjeu clé pour ce secteur historiquement composée de passagers américains,à 48%. Elle a été tirée en particulier par une clientèle nouvelle issue des pays émergents mais elle s’est aussi poursuivie sur les marchés matures que sont les Etats-Unis ou l’Europe, qui ont poursuivi un rythme de croissance soutenu.
Au cours des dernières années, les croisiéristes ont su continuellement améliorer leur proposition de valeur pour assurer à leurs passagers une expérience client de qualité et se différencier ainsi des offres d’autres secteurs touristiques. Les services proposés lors des croisières ont été développés et diversifiés avec succès : les dépenses des passagers à bord des navires ont augmenté au cours de la décennie passée.
De surcroît, ces nouveaux services ont aussi permis aux armateurs de diversifier leurclientèle, par exemple en proposant des offres attractives pour les jeunes adultes ou pour les familles et ainsi rajeunir une clientèle historiquement âgée de 46 ans en moyenne en Amérique du Nord et de 50 ans en Europe. L’élargissement des types de restauration proposés, adaptés à une clientèle aux goûts variés, le développement de différentes salles de spectacle, de sport ou de divertissement à bord représentent quelques-unes des initiatives menées par les armateurs pour assurer une offre de qualité et maintenir leur compétitivité face à d’autres produits touristiques concurrents.
De façon générale, ces dernières années ont été caractérisées par des croisières de plus en plus premium. Les segments dits Upper Premium ou Luxe sont les segments qui sedéveloppent le plus vite, à l’initiative d’armateurs spécialisés (Regent, Seadream,Ponant) ou par la diversification d’acteurs historiquement focalisé sur des segments plus « mass market » comme MSC Croisières, qui lance sa ligne de navires de luxe Yacht Club.
Une demande forte et résiliente pour des capacités en augmentation. La qualité de la proposition de valeur offerte par les croisiéristes leur assure une clientèle particulièrement fidèle, qui n’hésite pas à répéter l’expérience. Dans son ensemble, le secteur des croisières enregistre en effet des taux de satisfaction très élevés, tant en ce qui concerne la qualité et le confort des navires que les services et activités proposés.
Ces facteurs expliquent que, à la différence d‘autres secteurs touristiques, la croissance de la demande pour les croisières ait pu être historiquement régie par les capacités disponibles, qui ont cru continument malgré les crises économiques. Avant la crise liée à la Covid-19, les armateurs étaient particulièrement rentables avec des marges d‘EBITDA autour de 30%, qui leur ont permis de réinvestir continuellement dans des nouveaux navires et, ainsi, de maintenir une proposition de valeur élevée.
Vers un retour à la normal dès 2023. La pandémie n’a pas remis en question l’enthousiasme des passagers. Les choix effectués par ceux-ci face à l’annulation de leur croisière en 2020 en témoignent : seuls 24% ont sollicité le remboursement de leur billet. 76% ont préféré obtenir un avoir pour une croisière en 2021**.
Au regard de la résilience historique du secteur aux crises économiques et du développement de nouvelles capacités par les armateurs grâce au maintien des commandes malgré la pandémie, les croisières peuvent s’attendre à retrouver relativement rapidement le chemin de la croissance. Le délai de retour à la normale des croisières dépendra certes de facteurs externes comme les obligations sanitaires ouencore les restrictions de navigations et de déplacement, en lien avec l’évolution de la pandémie. Au regard de la mise en oeuvre des diverses campagnes de vaccination et de la résilience de la demande pour l’ensemble des gammes de croisières, le secteur peut néanmoins s’attendre à retrouver un niveau d’avant-crise dès 2023.
Quatre pistes de développement après la Covid-19 : des navires plus premium, plus petits, plus internationaux et plus respectueuxde l’environnement.
Au-delà des difficultés conjoncturelles de la pandémie de Covid-19, les croisières font certes face à d‘autres défis à plus long terme. C‘est le cas notamment de la nécessité de réduire leur empreinte environnementale. Bien conscients de cet enjeu, les armateurs s‘adaptent d‘ores et déjà : depuis quelques années, ils développent activement des offres et initiatives écologiques et des navires utilisant des systèmes de propulsion LNG ou des dispositifs de recyclage des déchets. Les derniers navires tendent à être à la pointe des dernières innovations environnementales.
**Source : étude publiée par UBS en juillet 2020, à l’échelle mondiale.
La montée en gamme du secteur - initiée avant la crise - devrait par ailleurs se poursuivre, sur un rythme proche de 10% par an sur ce segment. Les armateurs positionnés sur les segments les plus haut de gamme ont en effet confirmé leurs nombreuses prises de commandes pour des navires qui devraient prendre la mer progressivement d‘ici 2027. Le secteur de l‘ultra-luxe devrait par ailleurs se développer, comme en témoigne la création de Ritz-Carlton Yacht Collection. Cette montée en gamme du secteur va de pair avec une recherche d‘expérience croissante et explique le succès du segment Expédition du secteur.
Un troisième enjeu pour le secteur réside dans la poursuite de l’internationalisation de la clientèle, en particulier dans la conquête d’une clientèle asiatique et spécifiquement chinoise. Cette clientèle est aujourd’hui encore peu éduquée au produit croisière et constitue un gigantesque gisement de valeur pour l’ensemble des segments du secteur. L’émergence d’une clientèle chinoise devrait être tirée par deux facteurs : les efforts des armateurs pour attirer cette clientèle avec des croisières aux départs des ports chinois, mais aussi le gouvernement chinois qui a fait du secteur une priorité stratégique, se lançant dans la construction de ses propres navires et bénéficiant d’un partenariat avec les chantiers italiens Fincantieri.
Il est en revanche une tendance lourde du secteur qui pourrait être impactée par la Covid-19. Le secteur a été caractérisé ces dernières années par une course au gigantisme, avec des navires dépassant les 6 000 passagers. Cette tendance pourrait être enrayée, les croisiéristes pouvant chercher à construire des navires plus simples à sécuriser sur le volet sanitaire mais aussi à remplir. Par ailleurs, les opérations d‘armement/désarmement de ces grands navires sont particulièrement complexes et couteuses.
Conclusion
L’année 2020 aura marqué une crise historique pour le secteur des croisières, traditionnellement résilient. L’année 2021 ne sera pas sans difficulté, au regard notamment de la complexité des protocoles sanitaires requis pour la reprise de l’activité. Malgré l’ampleur inédite de la crise, le secteur peut toutefois s’attendre à retrouver dès 2023 – voire dès 2022 − ses niveaux d’activités antérieurs à la pandémie, en fonction toutefois de l’efficacité des vaccins contre le coronavirus. Les croisières sont loin d’avoir atteint les limites de leur croissance. Les armateurs ont su continuellement améliorer leur proposition de valeur et ont continué de se mobiliser à cet effet pendant la crise, en maintenant leurs commandes de navire. La qualité de leurs offres est récompensée par une clientèle toujours très fidèle en dépit de la pandémie. Les croisiéristes continuent aussi de proposer des séjours adaptés à une clientèle nouvelle, par exemple de jeunes adultes ou des familles, et à répondre aux défis environnementaux, amenés à prendre une place croissante lors de la prochaine décennie. Après la tempête qu’aura représenté la crise de la Covid-19, les croisières sont appelées à connaître des jours meilleurs.