Le transport routier de marchandises, secteur crucial de l’économie, fait face à une série de défis majeurs. De l’inflation à la pénurie de chauffeurs en passant par l’impératif de verdissement, les acteurs de cette industrie doivent se réinventer pour survivre. Il y apportent trois réponses : professionnalisation, innovation et consolidation.
ESG et Transport Logistique : innovations, réglementations, coopérations
Le secteur du transport logistique doit opérer sa mue écologique
Innovation dans les équipements et les processus, nouveaux partenariats, implication des salariés, des clients et des fournisseurs, chaque acteur teste et déploie des solutions innovantes pour s’attaquer à ce défi et faire face voire devancer la réglementation !
L'ESG devient une nécessité, réglementaire mais pas que – également un différenciateur fort pour les acteurs du transport logistique
La réglementation joue un rôle central dans la transition des entreprises vers des pratiques plus responsables vis-à-vis de la société et reste, malgré la forte prise de conscience du secteur et de ses clients, l'un des outils les plus efficaces pour encourager l'innovation et l'adoption des normes ESG. En constante évolution pour s'adapter aux dernières avancées, ces normes constituent pour les entreprises un cadre pour mettre en œuvre des accords, des initiatives, des produits et services - qu'elles soient contraignantes ou non, comme l'Accord de Paris.
Au niveau national, la publication des bilans carbone scope 3 obligatoire à partir de cette année, et la publication des engagements ESG à partir de 2024 avec le Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)*, bousculent les dernières entreprises encore réticentes à planifier et mettre en œuvre une stratégie ESG. Au-delà de la bonne exécution de la politique, une communication sur les objectifs chiffrés est cruciale. Avec la mise en application de CSRD les petites entreprises et PME seront contraintes de rattraper le niveau de maturité des grands groupes en matière de communication des performances écologiques. Ces grands groupes ont déjà pris l’habitude de publier des rapports extra-financiers et ont donc développé une expertise de communication en la matière. Sachant que les critères ESG pèsent déjà et pèseront de plus en plus dans les décisions d’investissements, cette communication revêt une importance toute particulière.
En parallèle, voire en alimentation de ce contexte réglementaire, les attentes des clients évoluent - ce qui renforce la pression sur l'écosystème du transport logistique pour leur adaptation. Ainsi, les produits et solutions innovants dits "verts" représentent déjà un avantage concurrentiel réel et tendent à devenir indispensables dans le portefeuille d'offre des transporteurs et des transitaires. Alors que l'optimisation des routes et le transport multimodal sont des leviers d'ores et déjà accessibles, l'investissement dans les carburants durables (en lien avec les transporteurs) est porteur d'espoir pour un avenir plus respectueux de l'environnement. L'extraction et la gestion des données nécessaires à l'établissement des émissions GES représentent un autre défi que les acteurs du marché sont en train de relever. Cela ne signifie pas pour autant que les clients sont prêts à payer davantage pour des services verts à date, mais cette posture pourrait évoluer avec l'augmentation du prix du carbone.
En effet, les coûts des transports traditionnels pourraient atteindre des niveaux comparables à ceux des transports plus "verts" à l'avenir. Le prix du carbone augmente de façon continue depuis 2018 du fait du plan d'abaissement des quotas d'émissions dans le marché carbone de 4,2% par an**. Cette situation bouleverse le secteur du transport, forçant les acteurs à réexaminer leur stratégie et à prendre des mesures pour investir et déployer davantage de solutions vertes, conduisant à leur adoption plus rapide. Certains grands groupes ont alloué des fonds importants pour accompagner l'innovation et la transition écologique (exemple : Fonds Energie de 1.5 mds d'euros de la CMA CGM)
Les acteurs proposent un foisonnement d'innovations sur les aspects environnementaux
L'exploitation et la gestion des données relatives aux émissions de GES représentent un enjeu central pour les acteurs du transport et les opérateurs logistiques. Ces outils de mesure permettent tout d'abord de chiffrer les émissions de gaz à effets de serre, puis de créer leur propre trajectoire carbone. Ils permettent également de proposer des services verts comme le reporting CO2, la compensation carbone et de valoriser les différentes options de transport en termes d'émissions vs. prix. A titre d'exemple, parmi les logiciels disponibles, l'outil EcoTransit permet d'agréger les données internes (consommation énergétique) et les émissions de transports. C'est le choix par exemple d'Heppner qui a parié sur cet outil pour inciter les clients à choisir des options moins polluantes.
Une politique environnementale concernant les déchets et la pollution est également une mesure facile à mettre en place pour les transporteurs et opérateurs logistiques. En adoptant une politique environnementale pour la gestion des déchets, Kuehne + Nagel s'est engagé à réduire à 0 les déchets mis en décharge d'ici 2030. Cet objectif se base sur une analyse précise des déchets tout au long du cycle de la production jusqu'à son élimination. La désignation d'un responsable de l'environnement sur chaque site, la formation et les campagnes de sensibilisation sur la réduction du plastique et des déchets alimentaires sont des mesures qui permettent d'atteindre l'objectif donné. La stratégie de K+N englobe également la réutilisation et le recyclage d'eau pour moins polluer son écosystème.
Ces innovations peuvent également se matérialiser par des paris techniques et des tests grandeurs natures. A l'image de l'expérimentation lancée par CEVA Logistics en partenariat avec l'opérateur autoroutier SANEF et l'énergéticien ENGIE pour tester des solutions de transport électrique longue distance sur l'axe Nord-Sud afin de déterminer la viabilité opérationnelle et économique de telles opérations décarbonées avant un passage potentiel à l'échelle.
D'autres partenariats se développent au sein de l'écosystème du transport, réunissant les acteurs majeurs et les start-ups. Dans cette dynamique, les acteurs du fret maritime invitent les jeunes pousses à apporter leur complémentarité à la recherche et développement interne. C'est dans cette perspective que Geodis s'est uni à la start-up française Zéphyr & Borée, spécialisée dans le transport maritime décarboné, pour donner vie à des navires cargos parés de voiles. Sealogis, bras armé de Geodis, devient l'agent maritime exclusif de Zéphyr & Borée en France, permettant ainsi la promotion de leurs services écoresponsables auprès de leur clientèle. Basée à Lorient, Zéphyr & Borée conçoit des vaisseaux de commerce mariant voiles et carburants alternatifs. L'horizon s'ouvre désormais vers l'année 2025, année prévue pour le lancement d'un service de transport de conteneurs transatlantiques, permettant une réduction des émissions de CO2 d'environ -50%.
Enfin, les acteurs publics encouragent la mise en commun de bonnes pratiques. C'est ce que fait l'ADEME avec "Fabrique de la Logistique". Elle permet d'encourager les partages des solutions supply chain innovations et de produire une base de connaissances et de bonnes pratiques avec les acteurs pour accélérer la transition du marché. Les discussions englobent des solutions comme les carburants alternatifs, les transports en vrac sans emballages à utilisation unique ou encore l'optimisation de la route logistique avec des algorithmes sophistiqués. Il est essentiel que les acteurs du secteur participent et prennent le relais avec des initiatives complémentaires pour faire face aux défis qui les rassemblent.
Les acteurs doivent se concentrer sur trois principes clés afin de mettre en place une politique ESG crédible et pérenne
Le premier principe est de définir des objectifs clairs et mesurables ainsi que des KPI chiffrés dans le temps, pour mesurer et suivre les progrès vers la réalisation de ces objectifs. Les objectifs doivent être ambitieux, réalisables et alignés sur les valeurs et la vision de l'entreprise pour garantir une cohérence et une crédibilité dans l'approche ESG sur le marché.
Le deuxième principe est d'intégrer toutes les parties prenantes dans le processus de construction de la politique ESG. Les entreprises doivent travailler en étroite collaboration avec leurs employés, clients, fournisseurs, investisseurs et autres partenaires pertinents pour s'assurer que leur politique ESG répond aux attentes et aux besoins de chacun. En impliquant toutes les parties prenantes, elles peuvent obtenir un retour d'expérience et des perspectives différentes, qui améliorent la pertinence et l'efficacité de leur politique. Ce principe permet d'augmenter l'engagement et la motivation des employés, qui peuvent se sentir valorisés et impliqués dans le développement de l'entreprise.
Le troisième principe est de mettre en place une gouvernance efficace pour l'exécution de la stratégie, qui inclut à la fois une approche top-down et bottom-up. Une gouvernance top-down permet aux dirigeants d'entreprise de définir les priorités, les objectifs et les mesures à prendre en matière d'ESG, ainsi que d'allouer les ressources nécessaires pour atteindre ces objectifs. Inversement, une gouvernance bottom-up, avec des responsables dédiés sur chaque site et des relais pour la formation de chacun, permet aux employés de tous les niveaux de l'entreprise de s'assurer de l'exécution de la politique ESG et de confronter la politique à la réalité du terrain pour la faire évoluer.
Les auteurs remercient Lisa Coiffard pour sa contribution à la rédaction de cet article.