La paradoxe du télétravail
By Claire Pernet and Magali Testard
Les effets du télétravail sur l'égalité hommes-femmes et l'organisation du travail
Modes d'organisation, égalité hommes-femmes… Le télétravail, souvent plébiscité pour sa flexibilité, est avant tout un enjeu de société. Il transforme les relations interpersonnelles et bouscule les modes d'organisation des entreprises. En estompant la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée, il renforce le déséquilibre entre les hommes et les femmes, notamment à la lumière du partage actuel des activités du foyer. Aussi, le télétravail influe sur les relations sociales en renforçant l'isolement et l'hyper connexion au travail. A l'inverse, il confère une plus grande flexibilité dans la manière d'agencer sa journée et semble améliorer l'efficacité des salariés dans le travail. La crise de la COVID-19 a exacerbé toutes les facettes du télétravail, bonnes ou mauvaises, dans des conditions difficiles imposées par la crise sanitaire, différentes de celles rencontrées en temps normal par les salariés. Sa généralisation dans le monde professionnel, fortement attendue par la population pour définir « le monde d'après », ne doit pas occulter qu'une réflexion profonde doit être menée pour intégrer toutes ses dimensions.
- Le télétravail en période de crise : révélation ?
Si le télétravail permet une certaine flexibilité dans la manière d’organiser sa journée, il atténue également la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée. Cet effacement se révèle préjudiciable pour les femmes. La période de confinement a amplifié cette tendance car il s’agissait d’un télétravail forcé, en situation de crise, pour éviter la propagation de la COVID-19. A ce contexte inédit s’ajoute, dans certains cas, un environnement familial prégnant et donc à rebours des conditions optimales de travail à distance.
En dépit de ce contexte de crise, le télétravail a été plébiscité. Selon un sondage réalisé par Roland Berger et Potloc, il doit même prendre une place plus importante dans les modes de travail du « monde d’après » : 79% des répondants s’attendent à ce que la pandémie ait un impact positif sur sa généralisation. A première vue, cette pratique offre un double avantage : une meilleure flexibilité et une plus grande efficacité. Même dans des conditions difficiles, 71% des cadres estiment en effet que leurs conditions de travail étaient plus flexibles et deux tiers d’entre eux se sont sentis plus efficaces qu’à l’accoutumée. La flexibilité a été plus appréciée chez les femmes (73%) que chez les hommes (68%), mais la tendance est inversée sur le sentiment d’avoir gagné en efficacité (67% chez les femmes vs. 72% chez les hommes).
Le confinement a permis de mettre en lumière une inégalité hommes-femmes face au télétravail en situation de crise et d’absence de prise en charge des enfants (nourrice, crèche, école, …). L’effacement de la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée joue en défaveur des femmes puisque 46% des sondées estiment que cette redéfinition a un impact négatif en matière d’égalité hommes-femmes au travail, contre 29% des hommes sondés. En période de confinement, elles ont dû se substituer au professeur en faisant cours à leur(s) en enfant(s) tout en réalisant la majorité des tâches ménagères. Un déséquilibre qui a persisté pendant le confinement même si les hommes indiquent avoir assuré une plus grande part de ces activités (+5 points pour l’éducation et les tâches ménagères).
- La généralisation du télétravail pourrait renforcer les inégalités professionnelles hommes-femmes de manière structurelle
- Déployer le télétravail en entreprise : accompagner le changement
Isolement, perte du lien social, hyper connexion au travail, augmentation du stress… Les dérives potentielles liées au télétravail sont nombreuses. Parmi les personnes interrogées, 63% déclarent avoir consacré plus de temps à leur tâches professionnelles et 51,6% d’entre elles ont trouvé l’expérience plus stressante. Mais l’adhésion qu’il suscite auprès des salariés et des managers oblige l’ensemble des acteurs à dessiner un chemin de crête pour définir un nouveau mode d’organisation conforme aux attentes du « monde d’après ».
Le déploiement de cette pratique devra donc être accompagné (contractualisation, volonté individuelle, outils, environnement de travail adapté, etc.) et concilier plusieurs objectifs : efficacité, aspiration à plus de flexibilité et d’autonomie, droit à la déconnexion et maintien de la cohésion d’équipe. Plusieurs entreprises du CAC 40 ont fait appel à des coachs pour sensibiliser les membres de leur COMEX et les accompagner dans les pratiques à distance du management et de la communication3. Dans certaines entreprises, les DRH sont en train de mener des réflexions sur l’évaluation de la capacité de chaque salarié à tenir un rythme de télétravail.
L’équilibre entre télétravail et présence dans l’entreprise est ténu mais deux jours de télétravail par semaine fait consensus. Ainsi les salariés peuvent à la fois garder la main sur l’organisation de leur journée lorsqu’ils sont en télétravail et maintenir des relations sociales professionnelles au bureau. Ce rythme, souhaité par les cadres interrogés, figurait déjà dans les conclusions du rapport « Développement du télétravail dans la société numérique de demain » rédigé conjointement par le Centre d’Analyse stratégique et Roland Berger à la demande de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique.