Le transport aérien en Europe avant et après Covid
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Pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), Didier Bréchemier, senior partner en charge du secteur transport et travel au sein du cabinet de conseil Roland Berger, et Emmanuel Combe, professeur des universités, professeur à la Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence ont publié en deux volumes (« Avant le Covid-19 » et « Après le Covid-19 », parus en mai 2020 et mis à jour en décembre de la même année) une étude sur les évolutions actuelles et à venir du transport aérien en Europe.
Si toutes les compagnies aériennes européennes ont été touchées de plein fouet par la crise du Covid-19, elles n'en connaissent pas moins des situations contrastées.
La crise du Covid-19 va jouer le rôle d’accélérateur de mutations structurelles du secteur. Le marché du transport aérien européen va probablement connaître un mouvement de restructuration au profit des acteurs low cost, à la suite de la faillite de petits opérateurs et à l’attrition des grandes compagnies historiques, à moins qu'elles n'adoptent résolument un modèle low cost sur le moyen-courrier. S'ils n'accélèrent pas la transformation de leur modèle économique sur le moyen-courrier, les grands opérateurs historiques risquent d’être marginalisés.
Le transport aérien est moins concentré en Europe qu’aux États-Unis et dégage une profitabilité inférieure.
Cette situation provient de la plus faible part de marché des quatre leaders du secteur et de l’existence d’un très grand nombre d’acteurs de petite taille.
Or, la taille critique est une condition nécessaire (mais pas suffisante) de rentabilité dans le transport aérien, pour au moins trois raisons :
1/ économique, au regard de coûts fixes élevés ;
2/ relative à l’attractivité commerciale d’un réseau dense ;
3/ relative à la crédibilité du hub.
Dans un tel contexte de marché, la crise du Covid-19 risque d’enclencher un mouvement de consolidation du transport aérien en Europe, par attrition de certains acteurs, par faillite ou par rachat.
Certaines compagnies européennes historiques, au premier rang desquelles Air France-KLM et Lufthansa, ont montré une faible résilience, due à une trésorerie limitée (seulement 5,5 milliards d’euros de liquidités immédiatement mobilisables pour Air France-KLM au début de la crise) et des coûts fixes élevés.
Elles présentent cependant une forte disparité entre l'activité long-courrier, assez rentable, et l’activité court-moyen-courrier, structurellement déficitaire depuis plusieurs années, à cause notamment de la concurrence des low cost.
Face à cette concurrence, elles ont adopté plusieurs réponses :
Les compagnies historiques ne pourront donc passer la crise sans aide publique massive.
Les ultra low cost (Ryan Air, Wizz Air, Pegasus) opèrent avec une base de coût unitaire du siège en kilomètre offert (CSKO) très faible (entre 2,5 et 3 centimes, plus de deux fois inférieure à celle d’un opérateur historique sur le moyen-courrier).
Elles attirent une clientèle de loisirs, très sensible au prix mais moins regardante sur les fréquences, les horaires et le choix des destinations.
Elles disposent d'une grande flexibilité opérationnelle et d’une large trésorerie, grâce à des marges bénéficiaires à deux chiffres depuis plusieurs années.
Fortement impactées par la crise du Covid-19, les low cost devraient pourtant en sortir renforcées.
Compte tenu de leur positionnement sur la clientèle affaires, il est probable que les middle cost comme easyJet tireront moins parti de la crise, dans la mesure où leurs principaux concurrents sont des compagnies historiques comme Air France ou Lufthansa.
Les low cost disposent non seulement des moyens financiers qui leur permettront de participer à la consolidation du ciel européen mais aussi des incitations à le faire.
Ils n'ont aucun frein structurel à leur croissance, même si low cost en Europe atteint déjà près de 40% de part de marché en 2019 :
Compte tenu de leur agilité face à la crise, il est probable que les grandes compagnies low cost vont repartir à l’offensive sur le marché européen, sur les segments tourisme et business :
Les low cost ont pour ambition d’opérer un maillage très fin du territoire européen, dans le but de multiplier les connexions possibles entre régions.
- une croissance interne, par ouverture de nouvelles lignes et implantation sur de nouveaux aéroports ;
- une croissance externe, au moyen d’une fusion-acquisition ou de l’acquisition de créneaux (notamment dans les grands aéroports congestionnés) à la suite d’une faillite. Un obstacle principal, réglementaire, est lié au contrôle des opérations de concentration.
Le connecting consiste à développer les vols indirects, sans les contraintes d’un modèle de hub et de correspondances, qui requiert :
- un seul processus de réservation de billet ;
- une prise en charge en cas de perturbations de l’un des vols (annulation, retard, etc.) ;
- un temps d’attente minimisé entre les deux vols ;
- un transit facilité, avec le transfert automatique des bagages.
Beaucoup moins coûteux et complexe à gérer, le connecting est une sorte de correspondance auto-organisée par le client, sans que la compagnie s’engage sur la continuité de la prestation entre les vols.
Le connecting est une menace pour les grandes compagnies historiques en réduisant l'attractivité de leurs hubs :
Face à cette menace, les trois opérateurs ont réagi depuis dix ans en lançant eux-mêmes une activité low cost :
Les résultats de ces efforts ne sont pas encore à la hauteur des espérances des grands opérateurs historiques (sauf pour le groupe IAG, dont la filiale Vueling, acquise en 2013, est durablement profitable). Deux raisons principales expliquent ces difficultés :
Pour que la filiale low cost d'un opérateur historique soit rentable, trois conditions sont à respecter :
Les grands opérateurs historiques ont fait le choix jusqu’ici de cantonner le low cost aux vols de point à point, à l’exclusion des vols à destination de leurs hubs (à l'exception de KLM).
S’ils veulent affronter demain les géants du low cost à armes égales, ils devront transférer l’ensemble de leur activité moyen-courrier à leur filiale low cost.
Les filiales low cost des trois opérateurs historiques ont été d’abord pensées comme des instruments défensifs, opérant pour l’essentiel au départ du pays d’origine.
Pour en faire des instruments de reconquête de parts de marché, une implantation des filiales low cost hors du marché domestique par l'ouverture de bases à l'étranger et le développement du connecting sont nécessaires.
En complément des sujets d'offre et de positionnement, toutes les compagnies aériennes vont aussi devoir s’emparer du sujet de la transformation digitale. Il reste notamment beaucoup à faire dans :
Un dernier enjeu majeur pour les compagnies aériennes de l’ère post-Covid-19 consiste à s’inscrire dans une démarche responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé des passagers, intégrant les enjeux liés au « flight shaming » ainsi qu'à la mise en place d'environnements aseptisés.