Aérospatiale et Défense
Roland Berger advises the aerospace, defense and security industries. We support OEMs, suppliers, agencies and investors.
Dans le cadre de ses études et projets sur l'environnement dans l'écosystème de l'aviation, Roland Berger mène une série d'entretiens avec celles et ceux qui construisent le futur écologique de l'aéroportuaire.
Notre première interview avec celui qui a pris en début d'année les rênes du plus grand aéroport full cargo d'Europe, et qui se trouve dans les premiers rangs de la responsabilité écologique de l'industrie.
(entretien réalisé en mai 2022)
Qui êtes-vous, quel est votre parcours ?
Mon nom est Laurent Jossart, je suis le patron de l'Aéroport de Liège, 5e aéroport cargo d'Europe et premier aéroport full-cargo.
J'ai un parcours universitaire en Belgique et j'ai commencé ma vie professionnelle dans l'audit – ce que j'aime appeler une "seconde université" – chez Arthur Andersen. Puis je suis passé chez un de mes clients compagnie aérienne chez lequel je suis devenu DAF et ensuite dans une compagnie low-cost.
Entre 2001 et 2006 j'étais le patron de l'aéroport de Charleroi, c'était le moment de l'arrivée de Ryanair – désormais le client principal. Puis de 2007 à 2020 j'étais chez Luxair où j'ai occupé plusieurs postes dont successivement DAF, Responsable du Cargo Handling et enfin patron de la compagnie aérienne
J'ai ensuite dirigé G4S, un groupe de sécurité avant de rejoindre en décembre 2021 l'aéroport de Liège !
Quelle est votre vision du rôle de l'aéroport en matière de responsabilité environnementale ?
"Une entreprise c'est un citoyen à part entière – et tout comme le citoyen, je considère qu'elle a un rôle vis-à-vis de l'environnement."
Notre rôle en tant qu'aéroport c'est de croître et de créer de l'activité. Cette dimension est particulièrement importante pour notre actionnaire majoritaire, la région Wallonne. Mais ceci doit être réalisé en prenant toutes les mesures pour être mieux-disant environnementalement.
En particulier, nous faisons face à la problématique des nuisances sonores : nous sommes ouverts 24/24 et nous avons une centaine de milliers d'habitants qui vivent autour de l'aéroport. Il faut pour eux trouver un équilibre entre le développement et le confort de vie.
La région wallonne a mis en place depuis près de 20 ans un cadre concernant les nuisances sonores, avec un plan d’exposition au bruit, des sonomètres, seuil maximum de bruit admis, politique d’insonorisation et rachat de maisons… Au-delà des nuisances sonores, notre politique environnementale est principalement sujette à la force de proposition du management – nous n'avons pas dans notre gouvernance d'objectifs fixés spécifiquement par les actionnaires, ce qui nous permet de pousser nos ambitions !
Quels sont les partenariats dans l'écosystème aéroportuaire que vous considérez comme particulièrement importants pour améliorer l'empreinte environnementale ?
Nous menons la technique de la carotte et du bâton.
Le bâton : aujourd'hui nous avons une politique d'agrément : tous les partenaires opérationnels peuvent s'implanter sur la plateforme, sous conditions techniques – et il est relativement aisé de s'implanter.
Notre objectif, pour des raisons d'amélioration de la qualité de service, de limitation de l'encombrement des voies, de sûreté et de sécurité…etc... est de passer vers un système de licences – qui intégrera des contraintes environnementales fortes. Ceci pour contraindre les opérateurs au sol à décarboniser, notamment leur flotte (en particulier les GSE). Cette force de contrainte, bien entendu progressive, est à mettre dans la même philosophie que ce que fait l'Europe avec les incorporations de SAF.
Le partenariat dans tout cela c'est la carotte – qui consiste à travailler sur l'adoption.
Aujourd'hui il n'y a pas encore de vision très claire sur le marché sur l'énergie alternative qui va l'emporter. On parle d'électricité, de LNG, de CNG, d'hydrogène… notre objectif est de créer une roadmap énergétique : nous faisons l'inventaire des équipements utilisés sur le site, des véhicules en contact avec le site (poids lourds, véhicules légers…) – et sur cette base nous réalisons des projections et proposons différents types d'énergie alternative sur le site : station à hydrogène, bornes de raccordement électrique, approvisionnement en CNG et LNG.
L'approche est en différentes étapes et en fonction de l'adoption nous passons au stade suivant :
Nous avons décidé de lancer en parallèle ces 4 types d'énergies alternatives – puis de sélectionner la plus pertinente en fonction des usages constatés.
Le système de partenariat : nous investissons pour provoquer l'adoption de la communauté, à l'intérieur du site mais aussi à l'extérieur du site (eg solutions d'approvisionnement pour les camionneurs en accès landside)
Sur l'électricité nous faisons de la cogénération, installation de panneaux solaires sur les bâtiments, contrats d'achat d'électricité verte…
Par ailleurs au niveau des compagnies aériennes – nous allons installer des positions de 400Hz électriques et nous pourrons proposer à l’avenir des solutions d'accessibilité au SAF grâce à notre pipeline.
Au total ce sont 6 piliers dans notre stratégie environnementale qui reprennent les thématiques standards :
Comment financez-vous ces initiatives ?
Nous finançons sur fonds propres pour amorcer la pompe.
"Notre idée est de capitaliser sur la croissance du passé pour financer la transition énergétique actuelle et future"
Nous n'avons pas de marché captif (eg : les bus à hydrogène de la ville) – nous devrons donc investir et éventuellement subventionner les opérations des distributeurs d'énergie pour lancer notre démarche et garantir leur succès sur la plateforme.
La transition énergétique dans les aéroports est existentielle – c'est comme ce que l'on a fait pour les riverains : 1 euro dans les infrastructures, 1 euro pour l'environnement au sens des nuisances sonores. Désormais nous faisons la même chose avec l'environnement au sens large.
En effet, les clients nous attendent et l'opinion publique nous attend – cela devient un investissement obligatoire.
Par ailleurs, nous sommes en train de mener des accréditations dont l'ACA stage 3. Nous avons plusieurs fers au feu – il n'y a pas de "magic stick", et il faut donc aller dans plusieurs directions à la fois pour satisfaire nos objectifs.
Quelle est votre feuille de route pour la prochaine décennie ?
Notre objectif est celui d'un bilan carbone nul en 2030 avec rachats de certificats puis en 2050 sans rachats de certificats
Mais de nos jours, "quand on parle d'engagements à 25 ans nous ne sommes plus crédibles – nous devons travailler à la neutralité carbone beaucoup plus rapidement" – il faut accélérer et c'est mon objectif.
Quels seront les plus grands défis à relever ?
Le coût de la transition écologique est exorbitant pour notre industrie – nous devons tous nous y atteler dans l'ensemble de l'écosystème.
Notre défi singulier c'est qu'être un aéroport full cargo est moins attractif. Un aéroport passager est plus sympathique – car il est plus difficile pour un passager d'être très critique sur le bilan carbone de son voyage. Cela nous oblige à plus de proactivité.
Nous avons une stratégie qui doit nous permettre d’à la fois croitre et d'influencer favorablement les comportements de nos clients dans la direction de la transition énergétique, dont notamment :
1) s'inscrire dans la multimodalité (avec les ports maritimes d'Anvers et le port fluvial de Liège, avec le terminal ferroviaire cargo à proximité
2) développer la réserve foncière disponible afin d’attirer des logisticiens dans la zone aéroportuaire et d’y localiser des activités de traitement du fret
3) améliorer la qualité de l'offre de services à l'aéroport
Cela doit nous permettre à moyen terme d’être encore plus ambitieux au niveau environnemental en créant une USP pour nos clients, qui fera qu'ils accepteront des contraintes d’exploitation en échange d'une proposition de valeur forte autour de la multimodalité et des services.
De nombreux défis en perspective pour l'aéroport de Liège !
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