Trajectoires de carrière au féminin
Qu'est ce qui éloigne encore les femmes des postes de direction en France ?
By Matthieu Simon and Claire Pernet
Grâce à la prise de conscience croissante du sujet ces dernières années, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a indéniablement progressé. Ces avancées sont le fait des législateurs et des entreprises des pays européens. En 2019 le nombre de femmes cadres dans des professions intellectuelles supérieures était ainsi de 42,2 % en France, soit six fois plus qu’il y a quarante ans, et les conseils d’administrations des entreprises du CAC 40 sont désormais plus ouverts aux femmes : elles y occupent désormais plus de 45% des places.
Malgré ces progrès encourageants, il existe encore un plafond de verre : en France, parmi les quarante plus grandes entreprises cotées en bourse, seules 3 d'entre elles sont dirigées par des femmes.
En partenariat avec l'association Grandes Ecoles au Féminin, le cabinet Roland Berger a mené une étude pour comprendre la persistance des difficultés que rencontrent les femmes qui visent des postes de direction en France.
Les organes de gouvernance se féminisent à travers l’Europe et la France se distingue parmi ses voisins. Dans l’Hexagone, les femmes représentent 46,2 % des membres des Conseils du CAC 40 et 46,1 % de ceux du SBF 120 selon l'association Ethics and Boards. A contrario, en Suisse et en Pologne ce chiffre ne dépasse pas les 30%.
Ces avancées sont notamment le fait d'un volontarisme législatif : en 2011, la loi dite « Copé-Zimmermann » a ainsi instauré des quotas progressifs pour encourager la féminisation des conseils d’administration et de surveillance des entreprises de plus de 250 salariés. Les objectifs à trois ans et à six ans fixés par la loi ont été dépassés : en 2014 l’objectif on recensait 30 % de femmes au sein des Conseils, et 42% en 2017. La loi Copé Zimmerman a été renforcée par la loi dite « Rixain » de 2021, qui contraint les entreprises de plus de 1000 salariés à publier les écarts de représentation entre femmes et hommes au sein de leurs directions, et impose des quotas : 30 % de femmes cadres dirigeantes et 30 % de femmes membres des instances dirigeantes à horizon 2027, puis 40 % en 2030.
En complément de ce cadre législatif, les entreprises ont pris le problème à bras le corps. Des politiques RH sont mises en place pour féminiser les instances dirigeantes : on peut ainsi citer SCOR qui a créé un poste de direction de la diversité au sein des ressources humaines, afin de scruter les recrutements et promotions. Des programmes de coaching et mentorat sont également mis à disposition des futures dirigeantes, ainsi le « People Review » de RATP DEV proposer des parcours adaptés aux femmes à haut potentiel. Les entreprises tentent également de réduire les contraintes personnelles de leurs salariées, Jansen a notamment mis en place un congé parental de 12 semaines rémunérées à 100% pour les femmes et les hommes.
Si les avancées réglementaires et privées ont permis de combler une partie du retard en matière de parité, la route est encore longue avant d’atteindre un réel équilibre. Le pouvoir dans les entreprises est encore détenu majoritairement par les hommes : en France il n'y a que trois femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40.
On distingue de fortes disparités suivant les secteurs : dans l’écosystème du FT 120, seules 14 femmes sont CEO ou cofondatrices d’une start-up, et les écarts de rémunération sont importants : le salaire médian des dirigeantes de start-up est 33% moins élevé que celui des dirigeants masculins. Le secteur financier et foncier manque également de mixité avec un taux qui ne dépasse pas les 30%.
Au-delà des disparités sectorielles, il existe également des stratégies de contournement employées par les entreprises afin de se soustraire aux obligations légales : changement de statut social, de la taille des conseils ou encore évasion sociale.
Enfin, des obstacles diffus sur le chemin des femmes persistent : les biais de genre encore fréquents, qui engendrent des discriminations, notamment lors des processus d'évaluation. Ceci souligne la nécessité de suivre précisément dans les outils RH l'évolution de ces critères, ainsi que celle de la proportion de candidatures féminines à des postes de direction.
Si l'impulsion législative est indispensable, c'est aux entreprises qu'il incombe de mettre en œuvre des mesures encore plus ambitieuses afin d'ouvrir la voie à l'égalité réelle.
En premier lieu, les pratiques de recrutement et de promotion sont des leviers majeurs pour favoriser la progression de carrière des femmes, et nécessitent la mise en place d'objectifs chiffrés et clairement identifiables en matière de politiques RH. La diversification du recrutement, qui pourrait passer par la systématisation des candidatures mixtes apparaît également comme un levier à explorer, notamment dans les secteurs peu féminisés comme le capital investissement. En outre, le renforcement des initiatives internes en matière de networking et de formation est crucial : le networking féminin permet de rompre l'isolement dans ces secteurs. Par ailleurs la poursuite de l'aménagement de l'organisation du travail favoriserait l'ascension hiérarchique des femmes, notamment celles qui ont des enfants.
Enfin, les dirigeantes que nous avons interrogées ont partagé des conseils à suivre par les femmes qui aspirent à des postes de direction pour mettre toutes les chances de leur côté : négocier les conditions d'arrivée dans un nouveau poste, s'entourer de mentors bienveillants mais exigeants, et avant tout s'engager, en rejoignant des réseaux pour bénéficier de conseils mais aussi rendre la pareille aux jeunes générations.
Qu'est ce qui éloigne encore les femmes des postes de direction en France ?